Par Dimitri AGBOZOH-GUIDIH
La récente annonce de la sortie des pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a secoué la scène diplomatique ouest-africaine. Ce retrait marque un tournant majeur pour les dynamiques régionales, suscitant des interrogations sur l’avenir de l’intégration économique et politique dans la région.
Une décision hautement symbolique
Les pays membres de l’AES, qui incluent le Mali, le Burkina Faso et le Niger, ont justifié leur retrait de la CEDEAO par des désaccords profonds sur les principes de gouvernance et les priorités stratégiques. Depuis les coups d’État militaires survenus dans ces pays, leurs relations avec la CEDEAO se sont considérablement détériorées. L’organisation régionale, accusée d’être inféodée à des intérêts extérieurs et de manquer de sensibilité aux réalités locales, a imposé des sanctions sévères, exacerbant les tensions.
Les causes profondes du divorce
Au cœur de cette rupture se trouve une divergence fondamentale sur les approches en matière de gouvernance, de sécurité et d’indépendance stratégique. L’AES, créée pour répondre aux défis spécifiques de la région sahélienne, notamment le terrorisme et la pauvreté endémique, prône une gestion endogène des crises. En revanche, la CEDEAO, perçue par certains comme trop dépendante des financements internationaux, a adopté des positions jugées incompatibles avec les aspirations des pays sahéliens.
La question sécuritaire a également joué un rôle central. Les membres de l’AES reprochent à la CEDEAO de ne pas avoir suffisamment soutenu leurs efforts dans la lutte contre les groupes armés terroristes qui déstabilisent la région. Cette frustration s’est traduite par une volonté accrue de coopérer avec de nouveaux partenaires, notamment la Russie, marquant un éloignement des paradigmes traditionnels dominés par les puissances occidentales.
Les implications pour la CEDEAO
La sortie de l’AES constitue un défi de taille pour la CEDEAO. Avec trois membres en moins, dont deux grandes puissances agricoles (Mali et Burkina Faso), l’organisation voit son influence affaiblie. Cette décision soulève également des questions sur la solidité de l’intégration régionale, qui repose sur des principes de solidarité et de coopération.
À court terme, le retrait de l’AES pourrait engendrer des perturbations économiques et commerciales, les échanges intra-régionaux étant essentiels pour les économies locales. Cependant, à moyen et long terme, la CEDEAO pourrait être contrainte de repenser ses mécanismes de gouvernance et de gestion des crises, afin de regagner la confiance de ses membres restants.
Un repositionnement stratégique pour l’AES
De leur côté, les pays de l’AES semblent déterminés à approfondir leur coopération sur des bases plus adaptées à leurs réalités locales. Cette démarche pourrait se traduire par la création de nouvelles institutions communes, voire par la mise en place d’un cadre économique et monétaire indépendant. L’accent mis sur une diplomatie moins alignée ouvre également la porte à des partenariats diversifiés, qui pourraient remodeler l’équilibre géopolitique régional.
Vers une reconfiguration régionale ?
Le retrait des pays de l’AES de la CEDEAO pourrait signaler une tendance plus large de remise en question des blocs régionaux en Afrique. Alors que les défis transnationaux nécessitent des réponses coordonnées, l’absence de consensus sur les priorités régionales risque de fragmenter davantage le continent.
Pourtant, cette situation offre également une opportunité unique : celle de repenser les modèles d’intégration pour qu’ils soient véritablement inclusifs et alignés sur les aspirations des populations africaines. Si la CEDEAO parvient à tirer les leçons de cette crise, elle pourrait renforcer son rôle en tant qu’acteur clé de l’intégration ouest-africaine.
En attendant, la sortie des pays de l’AES illustre les fractures profondes qui subsistent dans le projet d’unité régionale. Dans un contexte marqué par des défis sécuritaires, économiques et sociaux croissants, l’avenir de la coopération régionale dépendra de la capacité des acteurs à trouver un équilibre entre diversité et solidarité.