Par Moucharaf Soumanou & Arnauld KASSOUIN
Les acteurs mondiaux façonnent les normes internationales. Ce n’est pas tout, leur modèle de gouvernance nationale agit comme une pandémie. Il infecte la plupart des systèmes politiques qu’ils côtoient et les durcissent. La belle preuve, avec l’ouverture de la Russie sur le continent africain, plusieurs régimes naviguent dans ce que Guéorgui Satarov, ancien conseiller de Boris Eltsine, appellera « dictature plébiscitaire ». Selon cette théorie, il « convient de rompre définitivement avec le libéralisme et de le remplacer par une idéologie d’un autre type ». Idéologie qui baigne dans un système transactionnel. Cette dernière préconise de façon imagée un lieu « où les lois sont appliquées arbitrairement pour servir les intérêts de ceux qui sont au pouvoir. Les droits humains et la démocratie sont des inconvénients qu’il faut ignorer ».
Pour faire simple, elle ( dictature plébiscitaire) désigne le fait de concentrer les richesses d’une nation entière dans les mains d’un groupe d’individus d’un certain bord. « Les marchés publics russes et l’immense richesse en ressources naturelles du pays sont contrôlés par un réseau oligarchique proche de Poutine » écrit Joseph Siegel. Dans son article intitulé, « La Russie et le futur ordre international en Afrique » publié par le Centre d’études stratégiques de l’Afrique, ce dernier expose que centraliser les richesses « entraîne une stagnation économique et des inégalités structurelles ». Cette forme d’autoritarisme est la doctrine qui régit la politique interne et externe de la Russie.
À l’occasion du G20 à Osaka, au Japon, Donald Tusk, alors président du conseil européen alertait et condamnait la politique russe. « Ce que je trouve vraiment obsolète, c’est l’autoritarisme, les cultes de la personnalité et le règne des oligarques », déclare-t-il. Pour le chief economics commentator du Financial Times, Martin Wolf, la « dictature plébiscitaire » peut conduire à la ploutocratie. Parce que « la richesse étant à nouveau transmutée en pouvoir » dit-il. Mais ce mode de gouvernance ne nuit-elle pas à l’environnement des affaires ? La réponse est affirmative. D’abord, à l’échelle nationale, elle est contraignante pour l’essor des activités économiques d’investisseurs nationaux. Puis à l’échelle régionale, elle va paralyser toute volonté d’investir dans l’économie d’un tel pays.
Sur la logique des systèmes politiques, c’est le même procédé quant à leur envahissement des modèles de gouvernance. La démocratie à travers ce que Samuel Huntington va nommer « reflux démocratique » a mis son grappin sur les systèmes politiques africains. Cela s’est produit par les vagues de conférences nationales initiées à partir de 1990. À l’heure où un nouvel ordre mondial se précise, pourquoi la Russie fait-elle peur ? Pourquoi la présence prononcée de la Russie en Afrique suscite débat ?
Vassal autoritaire Russe
En apparence, il n’existe aucun signe d’ingérence dans les affaires politiques africaines venant de la Russie. Mais un constat plus ou moins chirurgical prouve le contraire. En Guinée Conakry, on se souvient encore des mots d’encouragement de l’ex ambassadeur russe Alexandre Bregadze. Quant à la modification de la constitution par le président » professeur » Alpha Condé pour un troisième mandat. C’était à l’occasion de la présentation des vœux du nouvel an le 9 janvier 2019 au palais Sekhoureyah.
Le diplomate russe devenu ambassadeur dans le pays de Sékou Touré a prétexté de ce que « les constitutions ne sont ni dogme, ni bible, ni coran ». Pour lui, ce sont « les constitutions qui s’adaptent à la réalité » et non l’opposé. Plusieurs acteurs de la société civile ont tenté vaille que vaille de faire court à cette idée d’un troisième mandat. « Influencé par les propos fallacieux de soutien de la chancellerie russe en Guinée, le professeur Alpha Condé a foncé droit dans le mur » analyse Dramane Bouko, professeur de géopolitique dans « L’Afrique et la problématique de la limitation des mandats présidentiels : Fiction ou Réalité ? »
L’exemple le plus dur est l’adoption par référendum de la constitution du 30 Juillet 2023 en République centrafricaine. Selon des enquêtes entreprises par un média centrafricain, il est révélé que la dernière constitution adoptée est une œuvre de la Russie. « Selon les résultats d’une enquête exclusive menée par une équipe d’investigation du CNC, il a été découvert que le projet de la nouvelle constitution a été rédigé en Russie, par les autorités russes elles-mêmes ».
Diktat de l’autoritarisme Russe
L’exemple guinéen a prouvé que lorsque les bases constitutionnelles sont remises en cause, c’est la structure même de l’État qui se retrouve fragilisée. La preuve, après le message de l’ex-ambassadeur russe, la rigidification de l’espace politique et la dérive autoritaire du président Condé l’ont emporté par un coup d’État le 5 septembre 2021. Ce cas mis en exergue démontre que la Russie n’intervient pas dans un État pour ses beaux yeux. Principalement en ce qui concerne les pays africains. D’ailleurs, plusieurs faits confirment cet état des choses. L’interventionnisme accru de la Russie sur le continent notamment au Niger, au Mali, et au Burkina Faso s’inscrit dans la logique de désoccidentalisation du monde.
Même si, il est de constat qu’un accent prononcé et polarisé est mis sur l’approfondissement de la coopération militaire, de défense, de l’influence médiatique et de l’accès aux ressources minières, une analyse politique comparée suggère une autre interprétation. Car « la Russie n’est pas là pour développer les pays en Afrique » informe Yves Ekoué Amaizo, directeur du groupe de réflexion Afrocentricity dans un article signé Juliette Nichols. La plupart des régimes avec lesquels la Russie traite ont en commun l’autoritarisme comme mode de gouvernance politique.
Les régimes politiques avec lesquels la Russie a de solides liens « concernent en particulier les États dirigés par des militaires putschistes ». On a entre autres, le Niger, le Soudan, la Guinée, le Burkina Faso, le Mali et la Centrafrique, etc. Aussi, il faut noter que la Russie soutient des prolongations de mandat extraconstitutionnelles. Elle l’a fait au Burundi, en République démocratique du Congo, en République du Congo et au Rwanda renseigne Africa Défense forum.
Passif autoritaire avec la Russie
À considérer les travaux de Robert A. Dahl, politologue américain, la Russie a un régime autoritaire. Il en est de même pour les pays qu’ils côtoient en Afrique de l’Ouest comme le Mali, le Niger et le Burkina Faso… Car pour Dahl, l’autoritarisme serait un mode de gouvernance où le pouvoir est concentré entre les mains d’une autorité centrale sans mécanismes de contrôle démocratique significatifs. Dans son ouvrage intitulé « Polyarchy: Participation and Opposition », Dahl a indiqué que les régimes autoritaires se caractérisent par un contrôle strict des institutions politiques et une limitation des libertés civiles. Ce constat n’est pas différent de ce qui s’observe dans les pays précités. Ou même, dans les pays avec lesquels la Russie converse en Afrique. Une prise en considération analytique confère l’idée selon laquelle, la Russie est sélective avec ces partenaires. Joseph Siegle, alerte et met en garde. Pour celui-ci, « La vision de Poutine de l’ordre international a des implications dangereuses pour l’Afrique ». Pour le directeur programme du centre d’études stratégiques de l’Afrique, il invite à « imaginer un grand État africain affirmant que son petit voisin n’a jamais vraiment existé » un instant. Plus loin, il questionne comment allons-nous percevoir le fait qu’un État affirme qu’un autre n’existe qu’en tant qu’entité souveraine indépendante ? Un parallélisme ainsi fait entre ce qui se déroule entre la Russie et l’Ukraine.