Par Dimitri AGBOZOH-GUIDIH
Depuis quelques années, la scène géopolitique ouest-africaine a été marquée par des bouleversements significatifs, notamment l’ascension de l’Alliance des États du Sahel (AES), une coalition regroupant le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Face à cette nouvelle dynamique, une question s’impose : le Togo pourrait-il rejoindre cette alliance, et les conditions sont-elles réunies pour une telle transition ?
L’Alliance des États du Sahel : genèse et objectifs
L’AES est née en septembre 2023 d’une volonté commune du Mali, du Burkina Faso et du Niger de renforcer leur coopération sur le plan militaire, économique et diplomatique. Elle s’inscrit dans un contexte de rupture progressive avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), perçue comme influencée par des intérêts extérieurs. L’objectif affiché est clair : prendre en main la souveraineté nationale, combattre le terrorisme et redéfinir les relations avec les partenaires internationaux.
Le Togo, pays voisin des trois États de l’AES, entretient une position de neutralité stratégique et un rôle de médiateur dans la région. Mais pourrait-il s’aligner sur cette alliance en pleine expansion ?
Un contexte togolais particulièrement complexe
Le Togo, sous la présidence de Faure Gnassingbé depuis 2005, a adopté une posture pragmatique dans ses relations internationales. Le pays s’est souvent présenté comme un interlocuteur clé dans la résolution des crises régionales, notamment en jouant un rôle médiateur entre la CEDEAO et les juntes militaires au pouvoir dans la sous-région.
Cependant, cette posture d’équilibre est mise à rude épreuve avec la montée en puissance de l’AES. D’une part, les intérêts économiques du Togo sont fortement liés à la CEDEAO, avec laquelle il entretient des relations commerciales essentielles, notamment via le port autonome de Lomé, principal hub maritime de la sous-région. D’autre part, le pays partage des frontières directes avec le Burkina Faso, où la menace jihadiste est omniprésente.
Les enjeux d’une possible adhésion à l’AES
Si le Togo envisageait de rejoindre l’AES, plusieurs facteurs devraient être pris en compte : Sécurité et lutte contre le terrorisme : L’AES s’est donné comme priorité la lutte contre les groupes armés terroristes. Or, le Togo fait face à une menace croissante, notamment dans sa région septentrionale. Intégrer l’AES pourrait renforcer sa coopération militaire avec ses voisins sahéliens, mais risquerait aussi de le positionner en confrontation directe avec certains acteurs régionaux.
Relations diplomatiques et isolement régional : En quittant la CEDEAO pour rejoindre l’AES, le Togo pourrait perdre certains avantages économiques et diplomatiques. L’isolement de l’AES vis-à-vis de plusieurs partenaires internationaux, notamment l’Union européenne et la France, pourrait entraîner des sanctions ou des restrictions commerciales.
Impacts économiques et commerciaux : Le Togo tire une partie importante de ses revenus de son port, qui dessert plusieurs pays de la sous-région. Une adhésion à l’AES pourrait fragiliser ses relations avec certains pays de la CEDEAO et compromettre sa position de plateforme commerciale stratégique.
Une neutralité stratégique comme meilleure option ?
Face à ces défis, la position actuelle du Togo semble être la plus avantageuse : préserver un équilibre entre les différentes forces en présence. En conservant son rôle de médiateur, Lomé peut continuer à jouer un rôle diplomatique essentiel, sans risquer des conséquences économiques ou sécuritaires lourdes.
Toutefois, la montée en puissance de l’AES et la reconfiguration géopolitique de la région obligeront le Togo à clarifier, à terme, sa position. Le pays devra trancher entre une adhésion à cette alliance montante, au risque de perdre des avantages économiques et diplomatiques, ou une neutralité prudente qui pourrait se heurter à des pressions grandissantes.
En attendant, Lomé reste sur une ligne de crête fragile, jonglant entre ses intérêts stratégiques et les aspirations régionales, dans un contexte où la stabilité et la sécurité sont plus que jamais au centre des préoccupations ouest-africaines.