Par Dimitri AGBOZOH-GUIDIH
Plus de six décennies après les proclamations d’indépendance des anciennes colonies ouest-africaines, le mot « indépendance » reste lourd, chargé d’espoir autant que de désillusions. Les drapeaux ont changé, les hymnes aussi. Les visages au sommet de l’État sont africains. Mais derrière l’apparence, une question demeure : les pays d’Afrique de l’Ouest sont-ils réellement indépendants ?
Alors que les coups d’État se multiplient, que les constitutions sont modifiées pour servir des intérêts personnels, et que les populations expriment colère, fatigue et espoir, il est temps de dresser un bilan lucide, et d’ouvrir une réflexion sur les perspectives d’avenir.
Une indépendance politique, mais une dépendance systémique
Les indépendances africaines obtenues dans les années 1960 ont été davantage des ruptures symboliques que structurelles. Les États ont gardé : Les mêmes structures administratives héritées du colonisateur ; Des économies tournées vers l’exportation de matières premières, selon des logiques décidées à Paris, Londres ou Washington ; Des armées formées et financées en grande partie par les anciennes puissances coloniales.
Le cas du franc CFA, utilisé par huit pays d’Afrique de l’Ouest, cristallise ce débat. Bien qu’en voie de réforme, cette monnaie est encore perçue comme un outil de contrôle économique extérieur.
Une souveraineté limitée par les dépendances économiques
De nombreux pays ouest-africains dépendent de l’aide extérieure pour financer leur budget national. Les grandes décisions économiques sont souvent prises sous l’influence du FMI, de la Banque mondiale, ou d’autres bailleurs de fonds internationaux, avec des conditions parfois en contradiction avec les besoins locaux.
Pourquoi tant de changements constitutionnels ? La constitution comme outil de maintien au pouvoir. Depuis les années 2000, de nombreux chefs d’État ouest-africains ont modifié leurs constitutions pour prolonger leur mandat : En Côte d’Ivoire, en Guinée, au Togo, au Niger, au Bénin ; Les modifications sont souvent justifiées par la « stabilité », la « continuité », ou la « volonté du peuple ».
Mais en réalité, ces réformes servent souvent des intérêts personnels ou partisans. Elles affaiblissent les institutions, détournent le sens de la démocratie, et creusent la méfiance entre gouvernés et gouvernants.
Une faiblesse de la culture démocratique
Ces manipulations montrent aussi l’immaturité institutionnelle de certains régimes. La Constitution, au lieu d’être un socle de règles partagées, devient un instrument que l’on modifie à la demande du prince.
La conséquence est immédiate : les oppositions se radicalisent, les populations perdent confiance, et le terreau devient fertile pour les ruptures brutales.
Pourquoi les coups d’État reviennent-ils ? Symptôme d’un système en crise: Entre 2020 et 2024, plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest ont connu des coups d’État : Mali, Guinée, Burkina Faso, Niger. Ces évènements sont souvent condamnés par la communauté internationale, mais dans de nombreux cas, ils sont applaudis par les populations locales.
Pourquoi ? Parce que ces coups d’État sont perçus non pas comme des régressions, mais comme des “corrections” d’un système qui ne fonctionne plus.
Les raisons sont multiples : Échecs de la lutte contre le terrorisme ; Corruption endémique ; Inégalités sociales criantes ; Manipulations électorales ; Absence de justice sociale.
Un rejet du modèle démocratique importé
Certains analystes évoquent une fatigue démocratique. Le modèle institutionnel importé d’Europe — multipartisme, élections régulières, parlements — est souvent déconnecté des réalités locales. Il est perçu comme un théâtre vide de sens, où les élites s’échangent le pouvoir sans améliorer la vie du peuple.
Dans ce contexte, l’armée apparaît parfois comme un recours, même si cela reste une illusion dangereuse à long terme. Et maintenant ? Quelles perspectives pour une véritable souveraineté ? Refonder les États sur des bases locales, durables et légitimes
L’Afrique de l’Ouest a besoin de repenser ses modèles politiques, en s’inspirant de ses propres traditions de gouvernance, tout en intégrant les exigences de la modernité. Cela passe par : Une justice indépendante ; Une société civile active et écoutée ; Des institutions solides, au-dessus des hommes ; Une éducation politique des citoyens, dès le plus jeune âge.
Reprendre le contrôle économique
L’indépendance réelle passe par l’autonomie économique. Cela implique : Une transformation locale des matières premières ; Un soutien à l’agriculture et à l’industrie locale ; Moins de dépendance aux institutions financières internationales ; Des accords commerciaux justes et équilibrés.
L’union fait la force. L’Afrique de l’Ouest doit miser sur la solidarité régionale, au sein de la CEDEAO ou à travers d’autres alliances panafricaines. Mais cette intégration ne peut fonctionner que si elle est au service des peuples, et non dictée par des intérêts extérieurs.
L’Afrique de l’Ouest a décroché son indépendance politique, mais la souveraineté réelle reste incomplète. Trop d’obstacles subsistent : pressions extérieures, élites déconnectées, institutions fragiles, démocratie affaiblie.
Mais tout n’est pas perdu. Une nouvelle génération, connectée, critique, instruite, ambitieuse, commence à remettre en cause les vieux modèles. C’est à elle que revient la mission de redéfinir l’indépendance, non pas comme une date, mais comme un processus : le chemin lent, complexe mais vital vers la liberté réelle.