Par Dimitri AGBOZOH-GUIDIH
Dans un monde où les frontières culturelles et religieuses deviennent de plus en plus poreuses, des chrétiens d’Afrique de l’Ouest et de la diaspora osent revendiquer une double identité qui allie leur foi chrétienne et leur attachement au Vodun. Une prise de position qui intrigue, bouscule les idées reçues et invite à une réflexion profonde sur l’héritage culturel et spirituel.
Le Vodun, une racine culturelle et spirituelle
Originaire du Bénin, du Togo et d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, le Vodun est bien plus qu’une religion : il est une philosophie, une tradition, et un mode de vie enraciné dans les communautés depuis des siècles. Avec l’arrivée du christianisme pendant la colonisation, le Vodun a été marginalisé, souvent diabolisé par les missionnaires et les institutions religieuses. Pourtant, il a résisté, persistant dans les pratiques quotidiennes, les cérémonies et les rituels.
Pour certains chrétiens, rejeter totalement le Vodun revient à renier une partie de leur identité culturelle. « Je suis chrétien, mais le Vodun, c’est mon histoire, ma culture. Ce sont les prières de mes ancêtres qui nous ont portés jusqu’ici », affirme Jean-Kodjo, un fidèle catholique béninois.
Une double identité assumée
Les chrétiens qui revendiquent leur lien avec le Vodun ne voient pas ces deux dimensions comme contradictoires, mais comme complémentaires. « Le christianisme m’apporte une foi universelle, tandis que le Vodun me connecte à mes racines et à ma communauté. Ce sont deux voies pour atteindre la même vérité spirituelle », explique Marie-Ange, une protestante togolaise.
Dans certaines églises d’Afrique de l’Ouest, des pratiques issues du Vodun se mêlent aux offices religieux. Les chants, les danses et même certaines prières reflètent une influence évidente. « C’est une manière de réconcilier le ciel et la terre, l’universel et le local », souligne un prêtre catholique béninois sous couvert d’anonymat.
Un dialogue entre foi et culture
Cette double appartenance n’est pas sans susciter des débats. Certains chrétiens conservateurs voient dans cette revendication un syncrétisme dangereux, voire une trahison de la foi chrétienne. À l’inverse, des adeptes du Vodun dénoncent une instrumentalisation de leurs pratiques sacrées par des chrétiens qui, selon eux, ne respectent pas leur religion dans sa totalité.
Pourtant, les partisans de cette double identité affirment qu’ils ne cherchent pas à fusionner les deux religions, mais à embrasser leur richesse respective. « C’est un dialogue, pas une confusion. Le Vodun m’enseigne le respect de la nature et des ancêtres, et le christianisme m’enseigne l’amour du prochain et le pardon », explique Daniel, un catéchiste catholique.
Une question de décolonisation spirituelle
Pour de nombreux Africains, revendiquer cette double identité est aussi une manière de décoloniser leur spiritualité. « Le christianisme est souvent présenté comme supérieur à nos religions traditionnelles, mais c’est une vision héritée de la colonisation. Aujourd’hui, nous voulons rétablir l’équilibre », déclare Élodie, une jeune activiste culturelle au Togo.
Dans les arts, la littérature et la musique, cette réconciliation entre Vodun et christianisme s’exprime de plus en plus librement. Des artistes comme le chanteur béninois Angélique Kidjo ou des écrivains africains intègrent ces deux dimensions dans leurs œuvres, montrant qu’il est possible de porter fièrement un héritage multiple.
Un message universel
Cette revendication d’une double identité chrétienne et voduniste envoie un message universel : celui de la tolérance et de l’ouverture. À une époque où les tensions religieuses dominent souvent le paysage mondial, ces chrétiens « fiers du Vodun » rappellent que la spiritualité peut être un pont entre les cultures plutôt qu’un mur.
« Nous sommes des enfants de Dieu, mais aussi des enfants de nos ancêtres », conclut Marie-Ange, sourire aux lèvres. Une phrase qui résume parfaitement l’esprit de cette double appartenance assumée, entre ciel et terre, entre tradition et modernité.