Par Dimitri AGBOZOH-GUIDIH
Dans un monde en perpétuelle mutation, où la modernité et la mondialisation bouleversent les modes de vie, les traditions ancestrales africaines sont confrontées à de multiples menaces : l’acculturation, l’influence des religions monothéistes, l’occidentalisation des sociétés et l’oubli progressif des savoirs sacrés.
Face à cette réalité, un groupe joue un rôle essentiel pour préserver l’âme des peuples africains : les initiés. Ces hommes et femmes, choisis et formés dès leur jeune âge, sont les dépositaires des rituels, des enseignements et des pratiques qui garantissent la continuité de la tradition. Mais en quoi leur rôle est-il si fondamental ? Comment assurent-ils le respect de la tradition dans un contexte de changement ?
Qui sont les initiés et pourquoi sont-ils essentiels ?
Les initiés, un statut particulier dans la société traditionnelle. Les initiés ne sont pas de simples individus ; ils sont les élus des ancêtres et des divinités, ceux à qui il est confié la mission de préserver les lois de la tradition. Leur statut se distingue par : Un long processus de formation : ils passent par des rites de passage exigeants, qui les préparent à assumer leurs responsabilités.
Une connaissance approfondie des coutumes : ils maîtrisent les mythes fondateurs, les rituels, les symboles et les lois spirituelles qui régissent la société. Une connexion avec le sacré : leur rôle ne se limite pas à un savoir intellectuel ; ils sont aussi les intermédiaires entre le monde visible et invisible. Dans de nombreuses cultures africaines, les initiés sont respectés et leur parole fait autorité. Ils sont les garants de l’ordre et de l’harmonie sociale.
Leur rôle dans la transmission des savoirs ancestraux
La tradition africaine repose sur l’oralité. Contrairement aux sociétés occidentales où l’écrit joue un rôle central, en Afrique, le savoir est transmis de bouche à oreille, de génération en génération. Les initiés sont les bibliothèques vivantes des peuples africains.
Ils assurent la transmission des connaissances à travers : Les contes et les légendes qui expliquent l’origine des peuples et des rites. Les rites de passage qui permettent aux jeunes d’intégrer la société avec des valeurs solides. Les cérémonies rituelles où ils enseignent la signification des danses, des chants et des offrandes. Sans eux, de nombreux savoirs se perdraient, mettant en péril l’identité culturelle des communautés.
Le rôle des initiés dans le respect et la préservation de la tradition
Le maintien de l’ordre spirituel et social. Dans la pensée africaine, le monde visible est en étroite relation avec le monde invisible. Les initiés jouent un rôle fondamental pour assurer l’équilibre entre ces deux dimensions.
Ils veillent au respect des lois ancestrales : la tradition repose sur des règles précises concernant la vie en société, la gestion des conflits, le rapport aux ancêtres et aux divinités. Les initiés sont ceux qui rappellent ces lois et veillent à leur application.
Ils sont les médiateurs des conflits : grâce à leur sagesse et leur connaissance des coutumes, ils interviennent dans les querelles familiales et communautaires pour restaurer la paix.
Ils protègent les lieux sacrés : certaines forêts, certaines sources d’eau et certains autels sont considérés comme des espaces sacrés. Les initiés s’assurent que ces lieux soient respectés et non souillés par des pratiques étrangères.
La protection contre l’influence des religions étrangères et de la modernité
Avec l’arrivée des religions monothéistes (christianisme et islam), de nombreuses traditions africaines ont été remises en question. Des pratiques ancestrales ont été interdites, et certaines ont même été diabolisées.
Face à cette situation, les initiés luttent contre la diabolisation du Vodoun, de l’animisme et des pratiques ancestrales ; Encouragent les jeunes générations à revenir aux sources et à ne pas rejeter leur héritage culturel ; Réinterprètent les traditions pour les adapter aux réalités contemporaines sans les dénaturer.
Ainsi, plutôt que de s’opposer à la modernité, certains initiés adoptent des moyens modernes (comme les réseaux sociaux et la radio) pour transmettre leurs enseignements.
Défis et perspectives pour l’avenir des initiés
Les défis rencontrés par les initiés aujourd’hui: Le manque de reconnaissance officielle : dans de nombreux pays africains, les initiés n’ont pas de statut légal clair. Leur rôle est souvent relégué à une simple fonction folklorique. L’exode rural et l’urbanisation : avec la migration vers les grandes villes, de nombreux jeunes ne sont plus en contact avec leurs traditions.
L’influence des religions étrangères : certaines familles interdisent à leurs enfants de participer aux initiations, considérant ces pratiques comme dépassées ou « païennes ».
Le manque de transmission : certains initiés ne trouvent pas de successeurs, ce qui met en péril la continuité de certaines pratiques.
Quelles solutions pour préserver le rôle des initiés ?
Créer des écoles de tradition : des espaces de formation pour enseigner aux jeunes les valeurs et les savoirs ancestraux. Reconnaître légalement les initiés comme des acteurs culturels et spirituels : leur donner un statut officiel permettrait de mieux protéger leurs pratiques.
Utiliser les médias et la technologie pour partager les connaissances : de plus en plus d’initiés créent des plateformes en ligne pour sensibiliser la jeunesse. Valoriser les rites de passage : dans plusieurs pays africains, des efforts sont faits pour réhabiliter ces rites comme des étapes essentielles de la vie sociale.
Concl
Un rempart contre l’oubli et la dissolution de l’identité africaine
Les initiés sont les piliers invisibles mais indispensables de la société africaine. Sans eux, les traditions se perdent, l’histoire s’efface et l’identité des peuples se dilue dans la mondialisation.
Il est donc primordial que les nouvelles générations prennent conscience de leur rôle et s’engagent à préserver cet héritage précieux. Car comme le dit un proverbe africain : « Un arbre sans racines ne peut tenir debout. »
Les initiés sont ces racines profondes qui maintiennent la culture africaine en vie. Leur rôle ne doit pas être négligé, car ils sont les gardiens du passé et les architectes de l’avenir.