Par Dimitri AGBOZOH-GUIDIH
Depuis plusieurs années, la question de la déclaration des biens des dirigeants africains revient sur le devant de la scène. Cette promesse de transparence, censée lutter contre la corruption et renforcer la confiance des citoyens dans leurs gouvernements, semble pourtant se heurter à de multiples obstacles. Si certains pays ont introduit des lois exigeant des déclarations de patrimoine, dans la pratique, beaucoup de ces déclarations sont incomplètes, insuffisantes ou carrément absentes. Alors que l’Afrique est l’une des régions du monde les plus touchées par la corruption, cette absence de mise en œuvre effective du mécanisme de déclaration des biens soulève des interrogations : Pourquoi les dirigeants africains traînent-ils à déclarer leurs biens ?
Dans cet article, nous nous penchons sur les raisons qui expliquent ce retard, les implications de cette situation pour la bonne gouvernance et les mécanismes nécessaires pour rendre cette mesure effective.
La déclaration des biens : un engagement de transparence dans un contexte délicat
Avant d’explorer les raisons pour lesquelles cette réforme peine à se concrétiser, il est important de rappeler le contexte dans lequel s’inscrit la question de la déclaration des biens. Ce mécanisme est conçu pour permettre de suivre l’évolution du patrimoine des dirigeants, avec pour objectif de prévenir les dérives financières et les conflits d’intérêts, notamment dans un continent où la corruption est un fléau.
La déclaration des biens est une démarche qui s’inscrit dans une volonté de transparence, pour permettre aux citoyens d’avoir une idée claire de la richesse de leurs dirigeants et de repérer toute variation suspecte. Cette mesure est également perçue comme un gage d’intégrité et un moyen de lutter contre les actes de corruption au sein de l’administration publique.
Les Organisations Non Gouvernementales (ONG), les institutions internationales telles que l’Union Africaine (UA) et la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ainsi que divers activistes de la société civile, militent pour une généralisation de cette pratique. Cependant, si des lois ont été instaurées dans certains pays pour obliger les hauts fonctionnaires à déclarer leurs biens, la mise en œuvre réelle de ces dispositifs reste très limitée.
Les raison de la non-mise en application
Les raisons pour lesquelles la déclaration des biens des dirigeants africains tarde à se généraliser sont multiples et variées. Elles sont d’ordre politique, économique et sociétal, et rendent difficile la mise en œuvre de cette mesure de transparence.
Le manque de volonté politique
L’une des raisons principales réside dans le manque de volonté politique de la part des dirigeants eux-mêmes. Nombre d’entre eux perçoivent cette mesure comme une menace pour leur pouvoir et leur privilège. Dans un continent où certains chefs d’État et hauts fonctionnaires jouissent de ressources économiques considérables, il est souvent difficile de convaincre ces mêmes dirigeants d’accepter une telle forme de contrôle. Une déclaration des biens exposerait leurs fortunes personnelles, souvent constituées de manière opaque, et pourrait servir de base pour des enquêtes sur d’éventuelles pratiques de détournement de fonds ou de corruption.
En réalité, nombreux sont les dirigeants qui considèrent cette déclaration comme un acte d’humiliation et une intrusion dans leur vie privée. Ils craignent qu’une telle démarche expose les déséquilibres entre leur patrimoine et celui de la majorité de leurs citoyens.
Des institutions de contrôle faibles ou compromises
Si une volonté politique existe parfois, elle est souvent freinée par des institutions de contrôle trop faibles ou trop compromises pour assurer une mise en œuvre effective de la loi. Dans beaucoup de pays africains, les organes censés garantir la transparence, tels que les chambres des comptes, les parquets ou les organes de lutte contre la corruption, sont souvent sous l’influence directe du pouvoir politique. Cela rend toute tentative d’impartialité ou d’indépendance difficile, et empêche de faire appliquer les règles de manière efficace.
De plus, la manque de ressources humaines et matérielles des institutions de contrôle empêche la réalisation de vérifications minutieuses et de suivis réguliers des déclarations des biens. Les structures censées jouer ce rôle sont souvent mal dotées et manquent de formation pour faire face à la complexité des dossiers.
La résistance à la transparence : un système établi de privilèges
Un autre obstacle majeur est le système de privilèges profondément enraciné dans de nombreux États africains. Dans des pays où la politique et l’économie sont entrelacées, où les élites économiques sont aussi les élites politiques, la déclaration des biens représente une menace directe pour un ordre établi basé sur l’opacité et le patronage. Les ressources nationales sont souvent détournées pour nourrir des réseaux politiques et économiques fermés, et toute forme de transparence pourrait remettre en cause l’équilibre fragile sur lequel repose ce système.
La culture de l’impunité est aussi un facteur crucial. Les dirigeants africains, dans de nombreux cas, agissent comme s’ils étaient au-dessus des lois. La corruption et le népotisme font souvent partie du système, et déclarer leurs biens reviendrait à ouvrir la voie à des enquêtes qui pourraient les exposer à des sanctions. Pour certains gouvernements, l’intérêt de maintenir l’ordre établi est supérieur à celui de promouvoir la transparence.
Des barrières culturelles et sociales
Par ailleurs, dans certains pays, des barrières culturelles peuvent jouer un rôle important dans la résistance à la déclaration des biens. La notion de protection de la vie privée, couplée à une perception de l’enrichissement des dirigeants comme un signe de succès ou d’efficacité politique, fait qu’il est souvent mal vu, voire mal compris, d’exiger la transparence financière.
Certaines pratiques anciennes et des traditions politiques font également obstacle à l’idée d’une gestion publique transparente. Dans des sociétés où la patronage et la discrétion sont des normes sociales, la déclaration des biens est perçue comme un geste qui s’oppose à ces traditions.
Conséquences de l’absence de déclaration des biens
L’absence de déclaration des biens des dirigeants a des conséquences directes et visibles sur le développement économique et social de l’Afrique.
Renforcement de la corruption
Sans la mise en œuvre effective de ce mécanisme de transparence, la corruption se renforce. L’absence de contrôle des biens personnels des dirigeants et de leurs proches laisse la place à des pratiques frauduleuses. Les richesses publiques sont détournées et l’élite dirigeante s’enrichit aux dépens des citoyens. Les ressources qui pourraient être utilisées pour des infrastructures publiques, des écoles ou des hôpitaux sont gaspillées, augmentant la pauvreté et les inégalités.
Perte de confiance des citoyens
L’absence de transparence conduit également à une perte de confiance des citoyens dans leurs institutions et leurs dirigeants. Lorsqu’ils voient des dirigeants accumuler des richesses colossales alors que la majorité de la population vit dans des conditions précaires, la frustration et la méfiance se développent. Cela déstabilise le tissu social et renforce les inégalités.
Frein au développement durable
L’inefficacité des systèmes de gestion publique empêche une planification cohérente pour le futur. Les investissements dans l’infrastructure, l’éducation et la santé sont sous-optimisés et les projets de développement sont souvent réalisés de manière inefficace, sans suivi ni évaluation sérieuse.
Vers une mise en application plus rigoureuse : que faire ?
Pour que la déclaration des biens devienne une réalité tangible et non une simple formalité, plusieurs mesures doivent être mises en place : Renforcer la volonté politique : Il est crucial que les dirigeants, sous pression nationale et internationale, adoptent une véritable politique de transparence.
Rendre les institutions de contrôle plus indépendantes et performantes : Les organes de lutte contre la corruption doivent être mieux équipés et indépendants.
Éduquer la population sur l’importance de la transparence : Les citoyens doivent prendre conscience de l’importance de la déclaration des biens pour un développement véritable et équitable.
Sanctionner les violations : Les dirigeants qui ne respectent pas les exigences de transparence doivent être confrontés à des sanctions claires et fermes.
Un combat pour la transparence et l’équité
La déclaration des biens des dirigeants africains est un élément clé pour instaurer un climat de transparence et de responsabilité. Si elle tarde à se mettre en place de manière systématique, c’est principalement en raison de résistances politiques, sociales et culturelles. Toutefois, l’avenir du continent dépend de la capacité à rendre des comptes et à garantir une gestion plus responsable des ressources publiques. Pour l’Afrique de demain, la transparence n’est pas une option, mais une nécessité. Il est temps de mettre un terme à l’improvisation et de faire de la déclaration des biens une réalité incontournable pour construire un avenir meilleur pour tous.