Par Dimitri AGBOZOH-GUIDIH
La prise de la Pierre sacrée, ou « Ekpe Ekpe », est une cérémonie ancestrale d’une grande importance pour les populations Guin au Togo et dans les régions avoisinantes. Tradition riche en symbolisme, elle incarne à la fois un acte spirituel, une transmission culturelle et un événement communautaire. Cependant, l’évolution de cette célébration soulève des questions essentielles : est-elle restée une culture sacrée ou s’est-elle transformée en une fête profane, dépouillée de sa profondeur spirituelle ? Alors que la 361e édition de cette cérémonie se profile, il est crucial d’examiner les dérives observées, l’importance d’une éthique rigoureuse et la nécessité d’un bilan global.
Une cérémonie sacrée au cœur de la culture Guin
La prise de la Pierre sacrée est un événement central dans le calendrier spirituel Guin. Ce rituel, qui marque l’ouverture de la nouvelle année, est l’occasion de solliciter les bénédictions des 41 divinités vénérées par ce peuple. La pierre, symbole de la communion entre les vivants, les ancêtres et les forces de la nature, est extraite lors d’une cérémonie secrète réservée aux initiés.
Cette tradition est censée perpétuer des valeurs telles que le respect des ancêtres, la solidarité communautaire et l’harmonie avec les forces spirituelles. Pour les initiés, la cérémonie est une responsabilité sacrée qui les engage à respecter des codes éthiques stricts.
Entre célébration et festivités : un glissement préoccupant
Depuis quelques décennies, la prise de la Pierre sacrée semble avoir perdu une partie de sa dimension sacrée au profit d’un aspect festif de plus en plus marqué. De nombreux adeptes affluent au lieu de la cérémonie non pour rendre hommage aux ancêtres, mais pour se livrer à des réjouissances souvent déconnectées de la signification spirituelle de l’événement.
Ce glissement vers une célébration purement festive est perçu par certains comme une trahison des valeurs ancestrales. Les danses, les défilés et les banquets, bien que magnifiques, prennent parfois le pas sur la prière, le recueillement et les rituels essentiels. Les voix s’élèvent pour rappeler que cette cérémonie n’est pas un simple spectacle, mais une communion sacrée qui exige respect et solennité.
L’éthique des initiés : un retour aux fondamentaux nécessaire
Les initiés aux 41 divinités jouent un rôle central dans la perpétuation de cette tradition. Cependant, il est constaté que certains ne respectent pas toujours les règles éthiques qui régissent leur fonction. Ces manquements incluent des conflits d’intérêt, des rivalités internes et une commercialisation excessive de certains aspects du culte.
Pour préserver l’intégrité de cette cérémonie, un retour aux fondamentaux est indispensable. Les initiés doivent renouveler leur engagement envers les valeurs spirituelles et morales qui forment la base de leur mission. Cela implique un rejet des comportements opportunistes et une dévotion sincère à leurs responsabilités envers la communauté et les divinités.
Le bilan des 361 éditions de Ekpe Ekpe : une évaluation nécessaire
Avec plus de trois siècles de célébrations derrière elle, la prise de la Pierre sacrée mérite un bilan global. Ce travail d’évaluation devrait aborder plusieurs aspects : L’impact culturel : Dans quelle mesure cette cérémonie a-t-elle préservé l’identité Guin face aux influences extérieures ? La transmission intergénérationnelle : Les jeunes générations sont-elles impliquées de manière significative dans cette tradition ? Les dérives observées : Quels sont les facteurs qui ont conduit au glissement vers une fête profane, et comment y remédier ? Les perspectives d’avenir : Comment moderniser cette tradition sans en dénaturer l’essence sacrée ? Un tel bilan nécessiterait la collaboration des autorités locales, des initiés et des leaders communautaires, ainsi qu’une documentation approfondie pour éviter que cette richesse culturelle ne sombre dans l’oubli ou la désacralisation.
L’implication des autorités et des acteurs locaux
La pérennité de la prise de la Pierre sacrée repose également sur l’implication des autorités locales. Ces dernières ont un rôle crucial à jouer dans l’encadrement de la cérémonie et dans la sensibilisation de la population sur sa signification spirituelle. Elles pourraient, par exemple, instaurer des réglementations visant à limiter les excès festifs et à promouvoir le respect des rituels traditionnels.
De même, les acteurs culturels et éducatifs doivent participer à l’effort de transmission en intégrant la prise de la Pierre sacrée dans les programmes scolaires et en organisant des activités qui mettent en lumière son importance.
La prise de la Pierre sacrée en milieu Guin est bien plus qu’une simple célébration : c’est un acte sacré qui incarne l’âme d’une culture ancestrale. Cependant, les dérives observées ces dernières années mettent en danger cette tradition, qui risque de perdre son essence au profit d’une approche superficielle et profane.
Pour préserver cette richesse culturelle, un travail de réorganisation, de sensibilisation et de réflexion collective s’impose. Les adeptes, les initiés, les autorités et la communauté tout entière doivent œuvrer ensemble pour redonner à cette cérémonie la place sacrée qu’elle mérite. La prise de la Pierre sacrée doit rester un pont entre les générations, les ancêtres et les forces spirituelles, et non se transformer en un simple spectacle festif.
